UNE VILLE SE DISTINGUE PAR SA PERSONNALITÉ
Droit à la mémoire et vision publique durable sur l’avenir des bâtiments classés E.B. Eddy
Quatrième ville en importance au Québec depuis 2002, Gatineau croyait tenir la fortune en martelant pendant plus d’une décennie l’importance de trouver au site de la E.B. Eddy une vraie vocation culturelle pour augmenter le sentiment d’appartenance et d’identification des Gatinois ; mais cette fortune est sur le point de nous échappée collectivement en raison de notre difficulté à nous réinventer et des impératifs économiques du promoteur. La décontamination de ces friches industrielles pourrait coûter 240 M$ sur un horizon de 10 ans (Le Droit et Radio-Canada, juin 2018) ; Ottawa et Gatineau se partageront la moitié de cette facture par le biais des programmes publics.
Le complexe industriel E.B. Eddy jouit de la plus haute protection patrimoniale du gouvernement du Québec. Son importance tient à sa visibilité évidente, et surtout à sa capacité d’évocation, à sa puissance de rappel du parcours social, esthétique et technique de notre ville. Ce vestige industriel, vide depuis trop longtemps, est aussi l’hôte de la première glissoire à cages du Canada pour contourner les chutes Chaudière — l’un des endroits historiques et patrimoniaux les plus importants en Amérique du Nord — et qui témoigne de grandes réalisations du passé.
Un champ d’action d’une grande actualité du côté de Gatineau
L’exercice d’avoir «un musée régional, ça presse» (Le Droit, 23 août 2019) n’est pas aussi simple sur le terrain. Les musées locaux doivent leur survie à l’appui et à la solidarité de nos communautés.
Alors qu’au niveau politique le projet de la bibliothèque centrale de Gatineau bat de l’aile depuis plus de 10 ans, la ville a-t-elle l’autorité morale de s’engager encore « dans la construction d’une véritable infrastructure muséale régionale capable d’entreposer et gérer des collections d’artefacts » (Le Droit, 24 août 2019) ? Ce musée pourrait jouer avec plus adéquation son rôle dans l’édification du sentiment d’appartenance à Gatineau en étant localisé dans l’édifice existant de la E.B. Eddy, élément phare du pôlecultureldel’axe Montcalm, et ce tout en évitant de grossir la dette publique des Gatinois avec un autre bâtiment municipal neuf. Seulement, cette solution requiert de travailler conjointement deux dossiers : la faisabilité à long terme de ce musée régional découlant d’une commande publique et, les plans à moyen terme du musée fluvial national (https://bit.ly/365ZHLg) qui est réfléchi depuis quatre ans par plus de cinq cents citoyens et mécènes autour de l’organisme culturel A.B.C. Stratégies.
Le Réseau du patrimoine de Gatineau et de l’Outaouais fait face à des choix cornéliens et a observé impuissant les revers successifs de ses membres en 2019 dont le Musée du sport, délocalisé à Montréal, et le Centre d’interprétation de Maniwaki, fermé avec la perte de quatre emplois. Malheureusement, suite à la révision des critères d’attribution du programme d’aide au fonctionnement pour les institutions muséales (PAFIM), le Ministère de la Culture et des Communications a fait sentir ses compressions budgétaires en Outaouais malgré la hausse du budget québécois du programme d’environ 1 M$. Aucun centre d’interprétation ou musée local n’a été agrégé dans la région 07 bien qu’ils jouent, eux aussi, un rôle moral et social essentiel en tant que repères collectifs et dépositaires de la culture pour les générations futures.
Rappelons que le futur Musée fluvial national Philemon-Wright s’étendra sur deux pavillons dans le secteur des chutes Chaudière — l’île Nord à Gatineau (E.B. Eddy) et l’île Sud à Ottawa (plaines Lebreton) — en plus, de proposer la création d’un Centre de recherches engagées en excellence (CREE) déjà relié à un groupe de huit universités. L’archipel muséal aura la mission de mettre en lumière l’époque spectaculaire des Raftsmen du Canadaet l’histoire du Wood Rush d’Amérique qui prend sa source dans la rivière des Outaouais. Rien ne sert d’attendre, nous sommes déjà au travail pour négocier un bail emphytéotique (99 ans) dans l’ensemble industriel E.B. Eddy pour et au nom du futur musée national. Nous estimons qu’une surface balisée minimum de 110 000 pi2 (10 000 m2) doit être affectée à une vocation muséale dans le plan de zonage du site E.B. Eddy qui accueillera pour 2030 le cinquième musée national du Québec. Notez que les musées nationaux québécois ont une surface moyenne d’opération de 323 000 pi2 (30 000 m2) et que l’ouverture du dernier musée québécois remonte à 1988, il y a 31 ans.
Nous proposons donc que le futur musée régional profite du train « national » et embarque dans le wagon de tête, sans perdre sa spécificité. Cette proposition de collaboration est viable pour le musée régional qui pourra profiter d’une tout autre palette de services spécialisés et surtout, de l’achalandage indirect de grands musées de proximité. Cette avenue rend possible l’arrivée du musée régional dans cet espace signicatif d’E.B. Eddy, et ce sans pression sur les élus quant au délai de livraison. De notre point de vue, le musée national pourra sous-louer en temps et lieu des espaces au musée régional. À titre indicatif, le Musée régional de la Côte-Nord occupe un espace de 11 517 pi2 (1 070 m2) au 500 boul. Laure où 44% des aires sont réservées aux expositions.
Il est légitime de vous demander « pourquoi un musée national québécois à Gatineau ? ». Ce nouvel investissement permettra de développer l’économie par la culture (économie mauve), de corriger cinquante ans de sous-financement systémique de la Belle Province dans le secteur muséologique en Outaouais québécois, mais surtout, révéler 200 ans d’histoire de la vallée de l’Outaouais qui ont profondément influencé le socle de l’organisation sociale, économique et culturelle du Québec. Tout en intervenant de façon positive sur l’aménagement du territoire et en stimulant l’industrie touristique, nous sommes en présence d’une logique d’investissement rentable compte tenu de l’impact de ce futur musée en matière d’éducation, de développement des connaissances, de protection du patrimoine et de cohésion sociale. La vitalité du réseau muséal québécois tient à ces grands musées (les musées du Québec, de la Civilisation, d’art contemporain et des beaux-arts) qui vivent avec des expositions populaires d’intérêt international appuyées par d’importants commanditaires. Avantageusement pensé, le modèle hybride de gouvernance du Musée fluvial national Philemon-Wright rend adaptable le financement : le pavillon québécois, le pavillon canadien et le centre de recherches engagées en excellence (CREE) sont intrinsèquement complémentaires. La Région de la capitale nationale est la vitrine du pays, c’est la clef de voute du musée fluvial !
Créer avec l’énergie commune un musée interprovincial
Avec beaucoup d’argent, on peut créer une ville sans âme, sans personnalité, amusante certes et possiblement à la Walt Disney. Donner une identité à la capitale, et par surcroît à la Région de la capitale nationale qui inclut Gatineau, a une valeur au-delà des dollars. La Région de la capitale nationale doit accomplir vraiment l’œuvre pour laquelle elle a été choisie, et ce, à la lumière de ses actions d’éclat. Cet appel à l’action s’aiguille particulièrement bien autour des exploits des cageux (Raftsmen), ces marins atypiques du XIXe siècle, qui ont marqué profondément la vallée de l’Outaouais. Berceau en Amérique du Nord du Wood Rush qui est endogène à la révolution industrielle, notre vallée est la première force économique du Canada pendant la majeure partie du 19e siècle. La rivière des Outaouais a été le siège d’une construction navale atypique destinée au commerce canado-britannique qui a influencé la destinée des forces mondiales de l’époque. Les cageux (Raftsmen) élaboraient d’immenses radeaux, 500 m sur 60 m, qui sont des ouvrages remarquables d’ingénierie de 8000 tonnes. Chacune de ces îles flottantes – tout aussi fantastique que celle d’Histoire de Pi – était pilotée par l’équipage sous l’œil exercé du maître des cages dont, Jos Montferrand, jusqu’aux portes de Québec où attendait un millier de voiliers prêts à la navigation hauturière.
Les villes sont en concurrence pour attirer les congrès, les grands événements ou tout simplement les résidents qui vont leur permettre de briller par rapport aux autres villes. C’est aussi vrai quand on parle d’agglomération transfrontalière comme Ottawa-Gatineau. Située à l’écart du grand couloir touristique tracé entre les chutes Niagara et les baleines de l’estuaire du Saint-Laurent, la Région de la capitale nationale a tout intérêt à développer une forte personnalité pour mieux se démarquer sur l’échiquier touristique national et international. À population comparable, la ville étasunienne de Seattle qui est liée au Gold Rush attire depuis une décennie 40 millions de visiteurs par an. Au Canada, donc à la grandeur du pays, c’est un chiffre modeste de 21 millions. Alors qu’Amsterdam, capitale des Pays-Bas, surchauffe avec 17 millions de visiteurs pour une population de 1,1 million d’habitants, chez nous on réfléchit encore à l’enjeu touristique…pourtant capital !
Les valeurs symboliques identitaires de ce riche héritage « cageussime » redonnent une large place au sens du territoire habité tout en dévoilant LE cachet authentique tant recherché pour devenir attractif et tirer notre épingle du jeu. Pour faciliter la réappropriation de notre identité qui est au cœur d’un récit national non encore commémoré, l’implantation d’une infrastructure muséale d’envergure devient tout naturellement un enjeu pour pérenniser cette source de fierté des deux côtés de la rivière et se doter d’un repère rassembleur interprovincial garant de notre mémoire collective.
La force unificatrice complémentaire et son partage identitaire
L’équipe Columbo 1806, d’A.B.C. Stratégies, échange sur une base régulière avec les équipes de la Commission de la capitale nationale (CCN) afin d’identifier le terrain qui accueillera le prestigieux pavillon sud (à charte fédérale) et le Centre de recherches engagées en excellence (CREE) du Musée fluvial national Philemon-Wright. Cette collaboration s’annonce très dynamique pour ancrer sur la rive sud des chutes Chaudière le nouveau diamant architectural et réenchanter notre capitale à l’international en démontrant que son histoire est digne des plus grandes capitales du monde. Nous poursuivons aussi nos objectifs de co-créer des volets de ce grand musée avec les Premières Nations et tout spécialement, la nation algonquine Anishinabeg.
Nous constatons sur le terrain une rapide évolution, bien qu’inégale sur la rive nord de la grande rivière. La recherche de cibles communes avec l’ensemble de nos collaborateurs et partenaires pancanadiens favorise une synergie collective productive. Une communication distincte, dans le premier trimestre de l’année 2020, est envisagée pour donner plus amples détails sur ce grand chapitre ottavien et canadien.
Signé ce 2 décembre 2019,
Alexandre Pampalon
Chef du projet muséal et médiateur culturel
A.B.C. Stratégies, OBNL
Laisser un commentaire