[ BLOGUE SUR L’HISTOIRE – COLUMBO 1806] La drave en France avant la colonisation
Par Christian Belleau, chroniqueur et journaliste
# Une grande épopée!
Avant que la France ne colonise ce qui deviendra la Nouvelle-France, symboliquement en 1534 et plus officiellement en 1608, avec la fondation de la ville de Québec par Samuel de Champlain, la drave existait déjà dans l’Hexagone. Et si ce dangereux métier ne s’y nommait pas ainsi, il s’agissait plutôt de «flottaison du bois», et les draveurs y étaient quant à eux surnommés «flotteurs». Avant donc que l’entrepreneur Philemon Wright ne construise son premier train de bois, dans la région de Gatineau, en 1806, le bois aurait commencé à flotter vers Paris dès la fin du XVe siècle…
# 15 siècles déjà
«Vous ne savez pas d’où vient la seule chose sans laquelle toutes ces jouissances seraient comme non avenues pendant huit mois de l’année», peut-on lire en introduction du livre La drave en France avant la colonisation. «Auriez-vous besoin de tapis, de parures de diamants et d’hermines, si l’ardent foyer qui réchauffe ne nous réunissait pas près de vous dans vos magnifiques salons?»
Cette «seule chose» dont il est question ici est de toute évidence le bois. «Ce bois arrive du Morvan, arrangé en train par des flotteurs, apprend-on aussi dans le même ouvrage. Et ce Morvan, ces trains, ces flotteurs, trois mots qui vous arrivent sans doute pour la première fois à l’oreille, renferment, et une industrie que vous ignorez, et de curieuses existences dont votre vie de bien-être ne vous laissera jamais soupçonner les fatigues.» Et avant de faire état du flottage des bois du Morvan (un massif situé en Bourgogne-Franche-Comté), le document précise que le transport du bois par radeau existait déjà dans l’Antiquité. À ce sujet, on y cite d’ailleurs J.-B. Thomas, directeur du Moniteur des Eaux et Forêts en France au milieu du XIXe siècle: «Il y a plus de quinze siècles qu’on transporte les charpentes et les bois à brûler sur le Rhin, la Loire et la Saône, etc, à l’exemple des Grecs et des Romains, qui eux-mêmes reçurent l’invention de peuples plus anciens.»
# La belle époque du flottage
Toujours selon J.-B. Thomas, les habitants de Paris consommaient très peu de bois au milieu du XVIe siècle. Toutefois, le livre La drave en France avant la colonisation nous dit que la capitale française vivait à cette époque une grave crise du ravitaillement de bois de chauffe et de four. Et si, à la fin du XVe siècle, du bois aurait possiblement flotté des forêts de Lyons vers Paris, il semble toutefois plus probable qu’on y ait fait descendre le bois sur la Seine de Rouen. Précisons que les forêts avoisinantes de la capitale sont alors dévastées, et que celles du Domaine Royal sont réservées à la chasse. Au milieu de XVIe siècle, la rivière La Cure (dans le département de Saône-et-Loire) est emménagée par l’entrepreneur Jean Rouvet afin d’approvisionner les Parisiens en bois. Puis, au XVIIe siècle, le comte François de Damas-Cruz fait creuser la Vaucreuse, un ingénieux système pour acheminer le bois de la Loire vers la Seine. Au XVIIIe siècle, les Français se tournent ensuite vers les rivières des Vosges, dont la Meurthe et la Moselle, puis surtout vers celles du Morvan, dont l’Yonne et la Durance. Dans les Vosges et le Morvan, on utilise très tôt les trains de bois, ces convois comportant plusieurs radeaux rattachés ensemble. Sur la Seine, par exemple, il n’est pas rare d’entrevoir des radeaux de 75 mètres de long et de 5 mètres de large, ce qui causera parfois d’importants dégâts. En France, les hommes qui dirigeaient ces trains de bois étaient appelés des «voileurs». Ils pouvaient voyager sur de longues distances, voire entre 300 et 400 kilomètres, pour acheminer le bois notamment jusqu’à Saint-Nicholas-de Port ou Nancy, dans la Meurthe-et-Moselle, ou même jusqu’en Allemagne, à la confluence de la Moselle et du Rhin. On raconte qu’à cette époque, les «voileurs» faisaient le retour à pied…
# À l’arrivée du charbon
Du XVIIIe siècle jusqu’à la fin du XIXe siècle, le Morvan sera le principal pourvoyeur du bois de chauffage à Paris. Toutefois, la flottaison de bois en France souffrira beaucoup à cause de la crise de l’économie forestière due à l’apparition du charbon, au milieu du XIXe siècle, et cela malgré la construction de lacs artificiels pour alimenter la capitale, qui dépend alors entièrement du bois du Morvan pour se chauffer en hiver. À cause de l’arrivée du charbon de terre (en opposition au charbon de bois), mais aussi des chemins de fer, le flottage cessera définitivement d’exister en 1924 dans cette région, puis éventuellement dans celles de la Dordogne, la Meuse, la Seine, Le Rhin, l’Yonne, la Loire et la Saône. À savoir que le flottage du bois en France deviendra un problème dans ses nombreux canaux à cause des péniches à moteurs à hélices qui y circulent. Le bois sera éventuellement acheminé à bon port par train ou par camion. Ainsi, après une aventure étalée sur près de quatre siècles, la belle épopée des «flotteurs» prendra fin.
# Un musée pour en savoir plus
À noter que les amateurs d’histoire qui comptent voyager en France auront l’occasion de visiter un musée du flottage à Clamecy, une commune située en Bourgogne-Franche-Comté. L’écomusée du flottage relate en effet l’histoire de la drave du Morvan vers Paris du XVIe au XIXe siècle. À l’aide de maquettes, de tableaux et de multiples démonstrations, les curieux pourront ainsi mieux saisir l’importance du flottage du bois en France, notamment sur l’Yonne et la Seine. Mis à la disposition par la Confrérie Saint Nicholas, l’écomusée de Clamecy se trouve sur la rue de la Porte d’Auxerre.
Pour citer ce blogue : Christian Belleau, choniqueur et journaliste. Éditeur
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