[ BLOGUE SUR L’HISTOIRE – COLUMBO 1806 ] Le cageux et le draveur
Par Christian Belleau, chroniqueur et journaliste
avec la collaboration de Isabelle Regout, médiatrice culturelle
Plusieurs textes trouvés sur le web ont tendance à confondre à tort, cageux et draveurs et à les mettre dans le même panier. Comme point de départ, rappelons l’existence du « bûcheron », cet incontournable métier bien connu de nos ancêtres. À chaque époque, il fallait récolter du bois : c’était le travail du bûcheron. Après l’hiver, le bûcheron se faisait parfois cageux ou draveur pour gagner sa croûte à moins qu’il n’eût une terre, alors il vaquait à faire profiter ses semences et ses récoltes.
Pendant tout le XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle, la rivière des Outaouais devient une véritable route du bois avec des milliers de cages en transhumance vers le port de Québec alors que ses affluents accueilleront des millions de billes destinées aux usines de sciage ou de papier. La région a été une plaque tournante de l’industrie forestière en Amérique du Nord.
# Les «cageux» : de drôles de marins !
Remontons le cours du temps pour mieux comprendre l’origine, chez nous, du métier de cageux ou cageur : C’est en 1806 que l’entrepreneur Philemon Wright a eu l’idée d’assembler le bois équarri en cages qui, une fois regroupées, formaient un long train de bois navigable. Le premier train, qu’il a nommé Columbo, était composé de 50 cages et aurait pris environ deux mois pour compléter le trajet d’ici à Québec. Lorsqu’un homme s’engageait à travailler sur les grands radeaux qui étaient flottés sur l’Outaouais et le Saint-Laurent jusqu’à Québec, il se disait avec fierté «cageux» ou «raftsman». Rappelons que le terme de «raftsman» (raft signifie radeau en français) a été adopté par les Canadiens-français et a été rapidement popularisé dans les chansons du folklore.
Sous les ordres du maître de cages, dont le respecté Jos Montferrand qui a travaillé pour le compte de Philemon Wright, les cageux manœuvraient sans relâche l’immense radeau à l’aide de rames pour le faire avancer par faible courant, et aussi éviter les écueils et les abords pour ne pas s’échouer. Le travail consistait également à désassembler le train de bois, pour manoeuvrer individuellement les cages, lorsqu’on atteignait un passage trop étroit ou dangereux. Plus tard, lorsque des glissoirs ont été ouvragées le long du parcours pour contourner des chutes ou des rapides afin de faciliter et accélérer le temps du trajet, les cages s’enfilaient, là aussi une à une, avec deux hommes à bord. Puis, de l’autre côté, on réassemblait en vitesse la cargaison de bois équarri. C’était loin d’être une mince affaire si l’on considère qu’un train de bois pouvait mesurer 60 mètres de large par plus d’un kilomètre de long ! On y plaçait une cambuse ( ou une cuisine ) et un dortoir protégés par des tentes et des cabanes de bois pour accomoder entre 30 et 60 hommes.
Vers la même époque, l’industrie forestière s’intéressera aussi au bois de sciage. À la fin du XIXe siècle, autant les grumes destinées au sciage que les billes qui alimentaient les usines à papier, flottaient ensemble sur nos cours d’eau. Dorénavant, c’est sur le bûcheron faucheur d’arbres et le draveur casse-cou que nos projecteurs sont braquées!
# Les draveurs : le danger sous chaque pas
Le terme «draveur» prend ses racines dans le mot anglais «drive», qui signifie conduire en français. C’est avec raison que l’on parle encore aujourd’hui de la bravoure et de l’agilité des draveurs qui se tenaient tels des équilibristes sur des billes de bois entre autres de la rivière Gatineau et de la rivière des Outaouais. Le danger guettait ceux-ci à chaque pas et cela même s’ils portaient des bottes cloutées (ou dites «corquées») à compter du début du XXe siècle. À l’aide d’une gaffe ou d’un tourne-billes, ces travailleurs forestiers acheminaient aux moulins, les billes par flottage. Ils récupéraient les précieuses billes échouées sur le bord des rivages en les relançant à l’eau ; le niveau d’eau et son débit étaient idéalement contrôlés par les activités d’un barrage situé en amont. Il n’est pas rare que le parcours accidenté des cours d’eau, où se mêlent à la fois des méandres, des chutes, des rapides et même de la glace au dégel printanier, favorise des amoncellements de bois obstruant la descente. Un draveur se porte alors volontaire pour briser l’embâcle en la dynamitant ou en enfonçant la pointe d’un crochet pour repérer et déloger la bille clé qui dénouera la jam. Cet ancien métier est toujours considéré comme l’un des plus dangereux, plusieurs braves ont d’ailleurs perdu la vie par noyade ou après avoir allumé la terrible mèche…

Une cage de bois équarri engagée dans une glissoir qui contourne la chute de la Chaudière et rejoint la rivière des Outaouais. Source : J.W. Topley, après 1880, Collection BAC PA-008440, MIKAN 3372178
Texte révisé par Pierre Louis Lapointe, historien
Sources: Metiers.foretbois.af2r.org / Grandquebec.com / La Grande mouvance, sous la direction de Marcel Ballavance / Chansons de voyageurs, coureurs de bois et forestiers, de Madeleine Béland / Wikipedia.org / ROBIDOUX, Léon-A. «Les cageux», ISBN 0-88532-019-0, 1974.
Laisser un commentaire